Interdiction de fumer [PW Kotoha]

- Éteignez votre cigarette.

- Pardon ?

- Votre cigarette. C'est interdit de fumer ici. Éteignez là et jetez là dans une poubelle.

Dralun soupira et s’exécuta. Il tapota la braise de sa cigarette sur la carapace qui recouvrait le dos de sa main pour l'éteindre et la rangea avec les autres cigarettes.
L'agent de sécurité regarda l'arthrope et fit une grimace à peine dissimulé , avant de tourner les talons en marmonnant dans sa barbe.

- Hm. Toujours aussi agréable dans ce foutu relais.

L'agent se retourna et lança un regard noir. Dralun répondit d'un léger ricanement, avant de se re-concentrer sur le pourquoi de sa présence ici.
Il devait passer un examen médical avant d'être accepté dans le syndicat du Lion. Sans oublier les tonnes de démarches administratives par lesquelles il devait passer pour ne serait-ce qu'espérer passer les portes de la base militaire Matsu.

Mais il n'y avait qu'un seul problème. Dralun était complètement perdu et ne savait pas par ou commencer.

Après avoir déambulé un bon quart d'heure dans des axes de navigation beaucoup trop propres à son goût, l'arthrope se laissa tomber sur un banc devant un grand bâtiment. A cet instant, il s'en voulait d'avoir oublié chez lui le courrier qui contenait l'adresse du bâtiment du service militaire et de la santé.

- Bordel.

Par réflexe, Dralun reprit dans sa poche son paquet de cigarette, mais après réflexion, il hésita à en ressortir une autre.

Kotoha avait été sévèrement réprimandée par son référent, pour avoir désisté son poste. Mais en qualité de stagiaire, elle put conserver sa tête. Du moins supposa-t-elle que c'en fut la raison. Après tout, elle avait joué à un jeu dangereux avec ce Billy : on ne l'y prendrait plus à deux fois. Fini le stalk d'inconnus !
Las de ses bêtises, son référent l'avait donc congédiée pour la journée... Et elle réfléchissait encore à ce qu'elle pourrait bien faire dans ce lieu inconnu. Chercher un Papa ? Jouer les cupidon ? Apporter un peu d'amour semblait pour le moment le programme idéal. Au moins se rendrait-elle plus utile que chez les forces de l'ordre.

L'androïde se promenait donc en se laissant porter par le flot d'odeurs et de sons que sa technologie transcrivait en un paysage coloré dans sa petite tête. Des teintes de blanc, de bleu, une grande palettes de couleurs froides. Très peu d'odeurs autres que corporelles et cette persistante effluve de détergent. Malgré tout, la présence de quelques Démétiens ajoutaient une touche de chaleur, ce qui parfois, lui tirait un sourire distrait.
L'après midi était déjà bien entamé et doucement, les axes se dégorgeaient. Le calme s'en venait. L'heure de visite aux centres médicaux arrivait à sa fin, et les différentes casernes militaires préparaient les patrouilles de la nuit. Quant aux services publics, ils étaient fermés depuis une bonne heure déjà.

Elle adorait la quiétude à l'approche crépuscule. Les odeurs et les sons n'étaient plus saturés et elle pouvait ainsi appréhender pleinement son environnement ; peut-être consacrerait-elle la nuit à déambuler pour cartographier le relais. Cela pourrait lui être utile.

Puis une nouvelle fois, ce fut une vague fragrance de tabac qui attira son attention. L'odeur était plus ténue que sur Billy, presque indécelable. Mais mise en contraste avec la propreté de la ville, cela devenait un jeu d'enfant pour Kotoha de le remarquer.
Elle s'accompagnait d'un panel d'effluves plus douces encore : celle du métal travaillé, et celle, proche de l'écorce, des Arthropes. Puis la sueur sèche trahissant un effort passé. Le tout empaqueté dans le relent du relais hospitalier.

Kotoha s'approcha de la source de ces odeurs, oubliant déjà ses bonnes résolutions. Des marmonnements lui indiquèrent qu'il s'agissait d'un homme. Elle grimpa sur le banc. S'assit, les pieds dans le vide. Essaya d'attraper le coude de l'Arthrope de sa petite main. Sourit.

"Pourquoi vous êtes tout seul sur ce banc, monsieur ?"

Dralun fixa son paquet de clopes. Après avoir soupiré à en faire vibrer ses mandibules, il rangea le paquet dans sa poche. Il était déjà un aimant à problèmes, ce n'était pas la peine de chercher les soucis. Surtout pour une cigarette.

Soudain, quelque chose lui toucha le bras. Dralun tourna la tête, un peu surpris.

- Pourquoi vous êtes tout seul sur ce banc, monsieur ?

Un démétien ? Non. Un rapide coup d'oeil aux articulations et la piste de l'homme plante était à écarter. C'était un androïde. Mais à première vues, ces "pétales" peuvent mettre le doute.

- Hé bien, on est curieux ?

L'arthrope sourit, se décontracta et se laissa couler un peu plus sur le banc, comme le ferait un ado humain devant la télévision.

- A vrai dire, je suis perdu. Je n'aime pas trop ce relais, et comme un c.. idiot, j'ai oublié mes papiers. Et j'ai l'impression que tout les bâtiments sont fermés. J'ai encore perdu une journée..

Dralun tourna la tête vers la petite. Son menton toucha maintenant son torse à force de s'avachir sur le banc.

- Et toi ? Qu'est ce que tu fais ici ? Je n'avais jamais vu d’androïde comme toi auparavant. Vous êtes normalement plus.. mécaniques, avec des morceaux de métal, des fils qui pendent, une voix chelou..

Elle balançait ses pieds au rythme de la voix de l'Arthrope. Au moins, ils étaient deux à ne pas trop apprécier ce relais ! Elle sentait sous ses doigts qu'il s'avachissait : le coude avait baissé de quelques centimètres depuis le début de la conversation. A ce rythme il allait finir par terre. Mais... Ce n'était pas de l'ennui. Après tout, il lui avait répondu, et gentiment. Et même si elle ne connaissait pas son identité, c'était suffisant pour qu'elle l'aime bien.
Du coup elle espérait qu'il ait plus de chances demain. C'était toujours embêtant que les choses n'aillent pas comme on le voudrait. Peut-être pourrait-elle l'aider ? En l'emmenant au poste... ou en discutant avec son référent ?

"Et toi ?"

Elle tourna la tête vers la provenance de sa voix.

"Oui ?
- Qu'est ce que tu fais ici ? Je n'avais jamais vu d’androïde comme toi auparavant. Vous êtes normalement plus.. mécaniques, avec des morceaux de métal, des fils qui pendent, une voix chelou..."

Il avait une drôle de façon de s'exprimer. Toutes les grandes gens qu'elle avait rencontré avaient toujours eu ce petit air assuré. Supérieur. Mais il lui parlait comme à un autre androïde. Elle sourit.

"C'est normal, je suis un modèle de compagnie ! On discute plus facilement avec ce qui nous ressemble plutôt qu'à du métal, non ? Puis... les trucs qui pendouillent, ce n'est pas très joli."

Elle opinait de la tête, sûre de ses paroles. Bien évidemment, tous ses extras impliquaient des sacrifices : plus fragile, moins forte, moins de puissance de calcul pour les opérations compliquées... Mais cela faisait partie des choses qu'une jeune fille doit taire.

"Mais du coup, si vous êtes perdu, vous saurez où vous reposer ? Même si c'est Ishtar, il ne vaut mieux pas dormir dehors. Puis peut-être que je pourrai vous aider quand tout sera ouvert !"

- Mais du coup, si vous êtes perdu, vous saurez où vous reposer ? Même si c'est Ishtar, il ne vaut mieux pas dormir dehors. Puis peut-être que je pourrai vous aider quand tout sera ouvert !

Dralun réfléchit. Le trajet pour rentrer chez lui n'était pas long en soi, mais il allait se taper tous les embouteillages. Et habitant quand même dans la zone 7, il ne serait pas rentré tout de suite. Le mieux serait effectivement de trouver un coin ou dormir. Au moins, il serait à l'heure pour demain.

- Hé bien, je pense que je vais chercher un endroit.. Il doit bien y avoir un hôtel.. Mais attends, c'est que tu connais les lieux ?

L'arthrope n'avait même eu la vivacité d'esprit de demander avant. Peut être que l’androïde travaillait ici et connaissait les lieux bien mieux que lui. Puis Dralun commença à se poser des questions.

- Mais.. qu'est ce qui te pousses à m'aider d'ailleurs ? Nous sommes complètement inconnus l'un pour l'autre..

Il se sentait idiot de ne pas avoir été plus sur ses gardes. Pourquoi un androïde aussi gentil et propre voulait l'aider ? Dralun ne savait pas trop quoi penser. Il n'était normalement pas paranoïaque, mais il se méfiait assez souvent des trucs mignons et inoffensif... ou du moins qui en n'ont l'air.

Il n'avait donc pas remarqué qu'elle avait écartée une des questions. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre de toute façon... Et dans ces cas là, ça embarrassait l'interlocuteur. Et elle ne voulait pas qu'il se sentisse mal. Alors elle continuait de parler, de noyer le poisson.

"Nope, je ne connais pas les lieux ! Enfin. (Elle fronça les sourcils. Cela aurait été pratique d'avoir cette fonction GPS que certains de ses confrères possédaient.) Je ne connais que le poste de garde de la zone et comment rejoindre la gare."

Et elle se remit à sourire. Cela avait sans doute décontenancé l'homme car un brin de doute vint se glisser dans sa voix si amicale tantôt.

"Mais... qu'est ce qui te pousses à m'aider d'ailleurs ? Nous sommes complètement inconnus l'un pour l'autre...
- Pourquoi pas ? Vous avez l'air gentil et vous aviez l'air d'avoir besoin d'aide. Alors même si je peux pas vraiment vous aider, c'est toujours mieux d'avoir des ennuis ou de s'ennuyer à deux !"

C'était assez simple dans sa tête formatée pour tenir compagnie ; puis avec le cadre protecteur dans lequel elle avait été conçue, les notions de méfiance et de prudence lui étaient plutôt étrangers. Elle ne faisait qu'essayer d'appliquer ce qu'on lui avait dit ici, à Ishtar.
En fait, elle ne pensait même pas à la façon dont cette rencontre se terminerait. Evidemment l'idéal serait de se faire un ami et la meilleure façon d'y arriver était de l'aider, non ? Kotoha se demandait simplement combien de temps il comptait rester là. Car la réponse appelait plus ou moins d'imagination pour le distraire...

"Est-ce que je vous ennuie ?" s'enquit-elle.

S'il disait oui, ce serait terrible. Elle ne savait pas ce qu'elle ferait. Alors elle espérait un non.

- Pourquoi pas ? Vous avez l'air gentil et vous aviez l'air d'avoir besoin d'aide. Alors même si je peux pas vraiment vous aider, c'est toujours mieux d'avoir des ennuis ou de s'ennuyer à deux !

Étrangement, elle marquait un point. Dralun envia presque la façon de penser des androïdes. Tout parait si simple avec eux. De toute façon, même si cette petite coquine l'emmenait dans un coupe gorge, il douta que ça se termine mal pour lui. L'armure qu'il portait était résistante, et sa carapace l'était encore plus.

- Est-ce que je vous ennuie ?

L'arthrope fut étonné à quel point cette androïde avait des réactions humaines. C'était à la fois flippant et attendrissant. Si elle continuait comme ça, Dralun allait l'adopter sans même s'en rendre compte.

- Pas du tout ! J'étais juste perdu dans mes pensées. Désolé.

Il voulait la rassurer, mais le seul moyen de sourire chez les arthropes est de faire vibrer ses mandibules. Il fallait donc trouver un signe pour lui faire comprendre que tout allait bien.
Dralun leva le pouce en direction d'elle, comme il l'avait vu faire dans des vieux films chelous ou des animes.

- Bordel, c'est tellement ringard.. Bon !

Dralun se leva d'un coup de ce banc et s'étira. On pouvait presque entendre croustiller les jonctions de la carapace de son dos.

- Vu qu'aucun de nous connait les lieux, qu'est ce que tu dirais de se balader et de visiter ? Même si tout est fermé, il n'est pas encore si tard que ça. Avec un peu de chance, on tombera sur un hôtel ou un restaurant !

Kotoha lui aurait bien demandé ce à quoi il pensait mais cela aurait pu le gêner. Et c'était la dernière chose qu'elle voulait ; elle se contenta donc de garder le sourire et de pencher la tête avec un semblant d'innocence. Cela ferait appel à de l'affect. De l'attendrissement peut-être. Ou au moins de la curiosité.
Et soudainement il lui montra son pouce.
Elle se fendit d'un rire. Cela pouvait certes étonner, venant d'une androïde, mais en soit la situation était assez aisée à analyser : toute autre personne aurait souri ou tapoté sa tête mais il avait choisi un pouce levé. Ce choix inattendu appelait donc le rire. C'était simple pour son algorithme.

"Vu qu'aucun de nous connait les lieux, qu'est ce que tu dirais de se balader et de visiter ? "

Elle se laissa choir du banc à son tour. Hop.

"Même si tout est fermé, il n'est pas encore si tard que ça. Avec un peu de chance, on tombera sur un hôtel ou un restaurant !"

Kotoha adorait se promener. C'était la meilleure manière d'aborder toutes sortes de sujets et d'en apprendre plus sur son client. Enfin son acolyte. Elle réunirait peut-être assez d'informations pour trouver la meilleure façon de le rendre heureux comme ça ! Mais il faudrait qu'il reste assez longtemps avec elle ou alors qu'elle puisse le retrouver facilement lorsqu'elle aura tout prévu. Devenons amis...

"D'accord !"

Elle lui sourit, attrapa le pouce qu'il lui avait montré et le tira dans une direction, un peu comme ses gamines humaines avec leur parent.

"Par là alors !"

Malgré l'heure, plusieurs badauds vagabondaient encore dans les axes, à la recherche de subsistance ou d'un endroit chaud où passer le temps avant de rejoindre leur famille. Force est de constater que la richesse du relais rendait l'environnement agréable autant que rassurant. Ils purent ainsi évoluer tranquillement parmi la foule clairsemée, sans attirer une inutile attention. Bien évidemment son allure ne manquait pas d'attraper quelques regards mais aveugle de son état, Kotoha ne le remarquait pas. Tant qu'on ne chuchotait pas sur leur passage, c'est que tout allait bien !

"Dis, comment tu t'appelles ? Moi c'est Kotoha."

Elle sautillait en avançant, lâchant parfois son pouce pour courir vers un étal odorant ou une boutique d'où sortait de vieilles chansons terriennes. Puis elle se vérifiait qu'il la suivait. Qu'il ne s'ennuyait pas trop.

"Et qu'est ce que tu fais comme métier ? Garde du corps ? Pâtissier ? Fonctionnaire ?"

Elle se retourna, avec un grand sourire sur le visage.

"Parce que tu n'as pas l'air de voyager beaucoup, avec un sens de l'orientation pareil !"

Ils étaient finalement partis se promener. Ce relais était effectivement bien trop propre. Pas que Dralun aimait la saleté, mais tout le relais avait une odeur d'hôpital, et c'était assez stressant.

- Dis, comment tu t'appelles ? Moi c'est Kotoha.

- Dralun. Dralun Gavrian, c'est ce qu'est marqué sur ma carte d'identité. La plupart du temps, on m'appelle Drag.

- Et qu'est ce que tu fais comme métier ? Garde du corps ? Pâtissier ? Fonctionnaire ? Parce que tu n'as pas l'air de voyager beaucoup, avec un sens de l'orientation pareil !

Dralun lâcha un rire.

- Je n'ai pas vraiment de métier à vrai dire. Le seul moyen de gagner de l'argent pour moi c'est les courses de moto ainsi que quelques contrats de temps en temps. C'est pas fou, mais au moins je peux manger. Mais j'aimerais changer un peu de vie, voyager justement, découvrir de nouvelles choses.. C'est pour ça que je suis ici, pour faire mes papiers pour entrer dans le syndicat du Lion. Pas que je les porte dans mon cœur mais bon..

L'arthrope soupira et résista à l'envie de fumer. Il se demanda de plus en plus si ce syndicat était fait pour lui. L'ordre, la loi et la justice... il n'était pas contre, au contraire, mais il ne se voyait pas grand partisan de ce genre de notion.

- Et toi ? Comment tu occupes tes journées ?

Kotoha inscrivait le nom de Dralun Gavrian quelque part dans son registre, parmi tant d'autres visages. Et au fur et à mesure que la discussion se déroulaient, c'était un flot d'informations qui venaient s'y associer, donnant plus d'épaisseur à ce personnage.

S'il avait un surnom aussi sympathique, c'est qu'il devait être apprécié, sinon on l'aurait affublé de quelque chose de plus coloré. Il avait une pointe d'auto dérision dans ses propos. Sans doute le résultat d'une certaine habitude à se faire insulter, critiquer.
Et il avait la discussion facile, qu'il partageait avec une étrangère sans montrer plus de prudence. Selon ses données, les individus masculins montraient des signes de gêne à dévoiler leur absence d'activité professionnelle, un peu comme s'ils manquaient à leur devoir de mâle alpha. Idem pour les ambitions et les rêves. Ce genre de choses n'étaient partagées qu'après plusieurs jours de fréquentation. Ou si le client était ivre. Ou cherchait à obtenir des faveurs sexuelles.
Enfin... Il ne semblait pas intéressé par les affres de la politique, vu ses réserves vis à vis des Lions. Désillusion. Manque d'ambition. Intérêts autres. Pression familiale. Hum, les possibilités restaient nombreuses encore.

Kotoha trouvait donc Dralun Gavrian... fascinant. Elle le savait moins lisse qu'à ce qu'il voulait bien lu montrer, mais cela ne le rendait pas moins intéressant, au contraire.

"Et toi ? Comment tu occupes tes journées ?"

Elle continuait de sautiller d'un bout de la ruelle vers l'autre, zigzagant entre les différents curiosités de l'axe. Puis son nez capta une odeur bien plaisante. Elle s'arrêta. Renifla.

"Hum... Tu sens ? Du sucre ? De l'herbe. Des violettes ! Des roses !"

Elle se remit à marcher, de plus en plus vite, jusqu'à atteindre un étrange étal constitué d'une simple étagère mais remplie de fleurs à l'odeur si délicate. Elle attendit que l'arthrope l'eut rejointe pour lui répondre.

"Je fais ça pendant mes journées ; j'ouvre mes pores, je sens tout autour de moi, ou bien j'écoute et je rencontre des gens !"

Kotoha salua donc le fleuriste. Ces derniers étaient une espèce rare dans les cités les plus industrialisées du système solaire, passer un peu de temps en leur compagnie était toujours une joie pour son nez. Cela changeait de la sueur et du métal. Il y avait du lys, des roses comme elle avait deviné, mais également quelques pissenlits et des marguerites, plus simples à faire pousser...
Elle tira le bras de Drag, comme pour lui demander de grimper sur son dos. En hauteur elle capterait moins les odeurs inintéressantes pour lui. Trouver un restaurant serait alors un jeu d'enfant.

- Hum... Tu sens ? Du sucre ? De l'herbe. Des violettes ! Des roses !

Il est vrai que quelques odeurs assez plaisantes commençaient à chatouiller les systèmes olfactifs de l'arthrope. Dralun avait beau être le genre de personne qu'on pourrait qualifier de "non-fréquentable" à cause de son passé et de son manque d'activité, il savait se satisfaire de peu. Et la vue de ces fleures colorées l'apaisait.

- Je fais ça pendant mes journées ; j'ouvre mes pores, je sens tout autour de moi, ou bien j'écoute et je rencontre des gens !

Kotoha tira le bras de Drag comme pour lui demander quelque chose. Après quelques secondes, il comprit qu'elle voulait monter sur ses épaules. Il se mit alors à genoux et une fois l’androïde installé, il se releva et quitta le fleuriste.

- Mais tu n'as pas de lieu ou habiter et te reposer ? Genre une maison, ou un appartement ?

Rien qu'à parler de maison, Dralun pensa au dîner. Et cette pensée lui ouvra l’appétit, à tel point qu'il commençait à avoir des crampes a l'abdomen. Il savait que certains de son espèce pouvait ne pas manger pendant des mois grâce à un métabolisme extrêmement lent, mais il aimait trop la nourriture pour faire ça. Surtout la nourriture humaine.

Elle appréciait la hauteur, cela changeait de son paysage habituel : on y découvrait de nouvelles odeurs, de nouveaux sons et surtout... il devenait bien plus simple d'étudier les alentours. Non pas que Drag ait eu une forte odeur des pieds mais d'autres par contre...

"Mais tu n'as pas de lieu ou habiter et te reposer ? Genre une maison, ou un appartement ?"

Elle le sentait gigoter, inconfortable. Elle sourit.

"Pas encore, je dors à la caserne."

Kotoha avait toujours trouvé amusant qu'on lui pose ce genre de questions ; elle se laissait porter par ses rencontres et finissait la plupart du temps par s'inviter chez son dernier client pour se recharger. Elle était là pour tenir compagnie après tout. Autrement... Elle se baladait jusqu'à ce que ces humanoïdes se réveillent. Cela devait être bien agaçant de ne pas pouvoir gérer à volonté son repos. Être soumis à plusieurs heures de sommeil quotidien...
Enfin. Parmi les siens, elle faisait figure d'exception. A cause de sa petite taille, Papa n'avait pas pu lui fournir une autonomie aussi grande que ses confrères et elle devait donc ainsi se charger plus souvent que les autres.

"Puis... (elle tapota le sommet du crâne de son destrier. Comme le ferait une mère avec son enfant qui aurait sorti une bêtise) On ne s'invite pas comme ça chez des demoiselles, monsieur Drag, ces dernières pourraient se méprendre sur vos intentions ! "

Soudain, elle agita les pieds, tendant un doigt impérieux vers leur gauche.

"Là ! NOURRITURE !"

- Pas encore, je dors à la caserne.

Dralun soupira de soulagement. Elle ne dormait pas dans la rue.
Ils continuèrent leur marche tandis que certains commerçant et artisans fermèrent peu à peu leur boutique. De moins en moins de monde naviguait dans cette axe, et les lumières à LED s'allumaient alors que le soleil se cachait derrière la Terre.

- Puis... On ne s'invite pas comme ça chez des demoiselles, monsieur Drag, ces dernières pourraient se méprendre sur vos intentions !

- Que.. Quoi ? Mais pas du t..

- Là ! NOURRITURE !

Kotoha s'agita tandis que Drag regarda dans tous les sens avant de voir le doigt de l’androïde qui pointait sur un petit restaurant multiracial. Étrangement, la plupart des restaurant étaient tenus par des humains ou des démétiens. Mais Dralun ne s'en inquiétât pas, car il connaissait la nourriture humaine et savait qu'ils étaient doués avec leurs spatules. Surtout que c'est eux les premiers à s'être adaptés aux goûts des différentes race de la confédération, car évidemment, un démétien et un androïde n'ont pas vraiment les même goûts.

Dralun se dirigea alors vers le restaurant et ouvrit la porte. Un démétien s'approcha pour les accueillir.

- Bonsoir, une table pour deux s'il vous plait.

L'homme plante montra une table libre juste à côté de la vitrine, puis plaça les menus devant les deux affamés.

Kotoha était bien satisfaite. La soirée avançait tranquillement et elle devenait petit à petit amie avec Dralun. Le restaurant dégageait de très bonnes odeurs aussi alléchantes que curieuses. Pas la trace d'une souris. Vraiment, Ishtar était un bonheur pour ce qui relevait de la propreté !
Bref son humeur était au plus haut fixe et même lorsqu'on lui présenta la carte, elle ne se démonta pas, au contraire ; cela devenait une nouvelle occasion pour le sonder. Elle se pencha donc au dessus de la tâte, le menton touchant la nappe sommaire, la carte déployée comme un toit sur sa tête.

"Dis, Drag tu peux me lire la carte ?" lui souffla-t-elle.

Et elle remuait les jambes, si courtes qu'elles n'atteignaient pas le sol. Elle avait faim ! Et soudainement une pensée lui traversa l'esprit, balayant son envie ; ayant commencé son travail il y a quelques jours, elle ne percevrait aucune paie avant... la fin du mois. Bon. Il va falloir la jouer fine pour se faire inviter.

Autour d'eux, plusieurs couples et quelques solitaires dégustaient leur assiette généreuse à force de bruits de mastication et de discussions sans intérêt ; les ethnies se mélangeaient aussi efficacement que les odeurs. De là en résultait un tableau bien bordélique.
Kotoha soupira, désactiva son nez. Il ne lui servirait à rien ici, sinon à perturber ses capteurs si sensibles. Aveugle et incapable de sentir, il ne restait plus qu'à espérer que la soirée se passe sans accroc.

Dralun, installé, s'étira une nouvelle fois. Ce n'était pas un restaurant de luxe, c'était à peine plus intéressant qu'un fast food, mais au moins, les lieux paraissaient propres. Et les odeurs étaient loin d'être désagréables.

- Dis, Drag tu peux me lire la carte ?

Dralun s’exécuta sans réfléchir. Pour lui, il avait une enfant en face, plus qu'un androïde.

- Hmm voyons voir.. Menus par type.. Alors.. Page 4.

L'arthrope tourna les pages plastifié du menu et lista les propositions pour le moins étranges.

- Alors, tu as le choix entre.. du lithium dans sa gelée de Soma, une soupe d'huile avec des piles, des capsules de nanomachines, salade de LEDs et de resistors, carte-mère sur son éponge métallique et.. une batterie de poids lourd.. Hé bah, c'est pas de tout repos de manger ça..

Dralun avait déjà fait son choix, il allait prendre un hamburger avec quelques frites salées. Un repas basique, mais de toute façon, il n'avait pas la tête à se plonger dans un repas trop compliqué. Drag posa son bras sur le dossier du fauteuil et s'installa confortablement en posant sa jambe sur le genou de son autre jambe.

- Tu as de quoi payer au fait ?

Kotoha avait cessé de remuer. A chaque nouveau plat, elle écarquillait un peu plus ses yeux aveugles, ouvrait un peu plus la bouche ; pour peu qu'elle soit capable de baver, elle aurait trempé toute la table. Elle voulait TOUT prendre. Même si elle n'avait pas vraiment faim ; il lui restait assez d'énergie pour tenir jusqu'à demain midi. Tout, tout, tout... Mais de toute façon, un androïde ne pouvait pas faire exploser son ventre n'est-ce pas ?

"Tu as de quoi payer au fait ?"

Il réussit à doucher sa joie. Et qu'est-ce que cette pointe d'amusement qu'elle décelait là... Kotoha nota dans un coin de sa tête : "célibataire endurci". Il n'avait aucunes manières, vraiment. Ce qui en ferait un meilleur pigeon. Ou son pire client.

"Rien du tout ! Mais tu ne vas pas manger seul n'est-ce pas ? Et encore moins devant moi hein ?"

Et elle sourit, à lui, et au serveur qui s'en venait prendre leurs commandes.

"Le lithium avec la gelée et une salade, pour moi, s'il vous plait !"

Le temps que les commandes arrivent, l’androïde ne put s'empêcher de récolter toujours plus de données ; car malgré ses remarquables défauts, cela restait dans ses cordes de trouver un bon parti pour Dralun. Quelqu'un de patient, ça c'était obligatoire. Indispensable. Avec l'esprit aventureux, n'ayant pas peur de voyager... et appréciant la nourriture humaine.

"Tu es marié ?"

Le restaurant commençait atteindre le maximum de sa capacité ; et il fallait désormais hausser un peu la voix pour se faire entendre. Kotoha n'eut pas pour autant l'envie d'aborder des sujets plus légers : elle voulait le cuisiner, donc elle le ferait jusqu’au bout.

- Rien du tout ! Mais tu ne vas pas manger seul n'est-ce pas ? Et encore moins devant moi hein ?

- Non du tout, c'était juste pour savoir, ça me gêne pas de te payer le repas.

Le serveur s'avança et Kotoha lui demanda son choix. Dralun quand à lui demanda un hamburger et une barquette de frites. Le serveur récupéra les menus et parti.
Dralun n'eu pas le temps d'ouvrir les mandibules que l’androïde avait déjà une question.

- Tu es marié ?

- Non.

Dralun soupira. Pas qu'il soit déçu de la réponse, mais il sentait que ça ne suffisait pas pour assouvir la curiosité de Kotoha.

- Même si on donne l'impression d'être très ressemblant entre arthropes, mis à part nos peintures, nous expulsons des phéromones très différents. Et les miennes sont "violentes" à tel point que ça déplaît. Du coup, je doute que je puisse un jour me marier et avoir une quelconque descendance. Je ne suis pas un cas isolé, mais à vrai dire, ça ne n’importe peu. J'ai d'autre choses en tête pour l'instant.

Elle interpréta le soupir comme de la résolution plutôt que de l'ennui. Cela restait une hypothèse, il lui faudrait encore plus de détails sur ce spécimen pour en être certaine. Et loin de satisfaire pleinement sa curiosité, la dernière phrase de Dralun suffit à relancer l'androïde.

"D'autres choses en tête ? Comme rejoindre les Lions ? Tu sais te battre ?"

Son intérêt croissant pouvait aisément se percevoir dans ses inflexions vocales ; c'était la première fois qu'elle rencontrait un vrai combattant, autre que ses collègues de travail ou ce malotru de Billy Redfox. Et un arthropes en plus ! PLEIN DE DONNÉES A RÉCOLTER. Se calmer. Il fallait se calmer ou elle allait court-circuiter.
Le serveur jugea ce moment opportun pour leur amener leur commande ; Kotoha kidnappa avec une précision terrifiante la barquette de frites (leur odeur était assez puissante en même temps. Les repérer était un jeu d'enfant.)

"Monsieur Dralun, si vous voulez récupérer ces pauvres frites, il vous faudra m'affronter en duel après ce repas !"

Un sourire malsain se dessinait sur ses lèvres enfantines.

- D'autres choses en tête ? Comme rejoindre les Lions ? Tu sais te battre ?

- Hé bien..

Il n'eut pas le temps de construire une phrase que l’androïde vola sous ses yeux sa barquette de frite.

- Monsieur Dralun, si vous voulez récupérer ces pauvres frites, il vous faudra m'affronter en duel après ce repas !

Le visage de Dralun, qui était le plus souvent calme et reposé, devint très vite sérieux. Décidément, il ne pouvais même plus bouffer tranquille. Quand ce n'est pas des voleurs ou des sadiques en manque, c'est une androïde beaucoup trop curieuse qui cherchait la merde.
L'arthorpe resta silencieux et prit une bouchée dans son burger. Une fois sa mastication terminée, il demanda, dans un soupir :

- Pourquoi vous voulez toujours mesurer votre puissance, à chaque moment de votre "vie".. Je croyais que c'était quelque chose d'humain, mais finalement les tas de ferrailles aussi ont besoin de ça pour se sentir utile.

A vrai dire, il n'avait que peu d’intérêt pour les frites. Mais la situation prenait une tournure assez étrange. D’où son ton un peu plus sec. Il prit une autre bouchée dans son burger et continua.

- Un duel, même non létal, n'a que deux issues. La victoire d'un des deux combattant. Mais la défaite a souvent plus d'importance et de conséquences que la victoire. Que tu sois un androïde avec un rayon laser caché dans tes yeux ou un taser dans les dents, tu restes une enfant aux yeux de tout le monde, y compris moi. Et je ne supporterai pas perdre contre toi. De même que si je gagnais, quel plaisir aurais-je à vaincre une enfant ?

Dralun finit son burger, s'essuya les mains et jeta sa serviette sur son plateau.

- Autant que tu gardes les frites.. Et si tu veux vraiment faire un duel, j'espère que tu le feras avec l'envie de me tuer. Parce que je ferais de même.

L'androïde, si elle pouvait signifier sa satisfaction d'un rire, le ferait ; mais elle se contenta d'hocher la tête comme on lui avait enseigné. Il avait accepté ! Non pas que la perspective d'être réduite en tas de ferraille l'enchantasse mais elle avait obtenu gain de cause ; et il n'avait pas jugé bon de la questionner plus que cela. Elle lui fila un petit coup de pied dans le genou.

"Qui a parlé de combat à mort ? Un duel, un duel ♪"

Elle aligna les frites une à une sur la table, comme tant de petits soldats à terre, et avec une patience toute joyeuse. Kotoha n'oubliait jamais. Et ce Dralun tombait à pic. Elle écrabouilla la première frite sous son doigt impérieux. Elle ne pouvait pas mourir d'ailleurs. Peut-être devrait-elle accepter ce match. Mais pas à mort. Si elle l'abîmait, ce serait plus difficile de lui trouver quelqu'un. Quoique les femmes apprécient généralement les hommes blessés, ça réveille un drôle d'instinct chez elles. Apparemment. Donc un duel.

"Jouons, monsieur Dralun !"

Elle avala une bouchée de son propre plat, histoire de ne pas laisser son compagnon dîner seul -cela n'était pas bienséant après tout- avant de reprendre avec le même entrain simulé.

"J'affirme quelque chose à ton propos, si c'est vrai, tu me donnes une frite. Si j'ai faux, c'est à toi d'affirmer quelque chose à mon propos. Et celui qui mange la dernière frite a le droit à un petit service !"

Elle se redressa, l'air sérieux au possible.

Dralun c'était préparé au pire. Mais elle ne voulait faire qu'un sinistre jeu. Il était tellement déprimé qu'il aurait voulu soupirer, mais ce n'était pas suffisant pour évacuer toute cette lassitude. Il se vautra un peu plus dans le siège et relâcha la tension musculaire de son corps qu'il avait accumulé pour se préparer au combat.

- Hm'allez. Autant s'occuper.

L'arthorpe bu un coup de Dr Pepper et attendit la question de la gamine. De toute façon, il ne boufferait pas ses frites qui avait été tripoté par quelqu'un d'autre, surtout qu'elle devait commencer à être froides. Une grimace de dessina sur le visage de Dralun rien qu'à imaginer le goût d'une frite froide.