« Les Fleurs du Mal » [PW. Charles Smith]

Flowers of Evil

« Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, une ébauche lente à venir sur la toile oubliée et que l'artiste achève seulement par le souvenir. »

Après avoir jeté un regard sur la pendule à côté de la fenêtre, la jeune femme se plongea dans les derniers vers de sa lecture : « Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine / Qui vous mangera de baisers / Que j'ai gardé la forme et l'essence divine / De mes amours décomposées ! ». C'était l'un de ses poèmes préférés de l'ouvrage de Baudelaire, un auteur terrestre ayant vécu des siècles auparavant.

Un jour qu'elle était encore jeune, durant une des ses escapades vers le centre de la cité, Calliope avait rencontré un petit marchand d'antiquités et d'objets rares. Parmi toutes les breloques abîmées et couvertes de poussière qui s'entassaient sur une couverture, la jeune fille repéra un petit livre intitulé « Les Fleurs du Mal » dont les coins écornés et les pages jaunies témoignaient de l'ancienneté. Sans savoir pourquoi, elle eut très envie d'obtenir l'ouvrage et dépensa donc sa très maigre fortune pour se l'approprier.

Ce fut alors le début de son engouement pour la lecture et pour les arts disparus. Depuis lors, elle ne cessa de chercher toutes sortes de petits livres venus de Terre mais aussi de vieux instruments et parfois même des dessins ou des tableaux. La plus part de ces choses n'avaient aucune valeur financière, mais aux yeux de Calliope c'était un véritable trésor qu'elle entassait au fil des années dans son logement.

Les murs de son appartement étaient couverts de vielles affiches de cinéma, de tableaux, de dessins et les quelques meubles qu'elle possédait lui permettaient de ranger ses livres et ses accessoires de musique.

Et régulièrement, lorsqu'elle s'ennuyait ou qu'elle avait fait le tour de ses nouvelles acquisitions, elle ressortait un de ses bouquins préférés pour le relire. Ce recueil de poésie de Baudelaire en faisait partie.

Néanmoins un bruit de pas dans le couloir de l'immeuble la sortit de sa tranquillité. Bientôt, elle entendit frapper à la porte de son appartement. Jetant un nouveau regard à la pendule qui affichait presque minuit, elle se leva de son canapé, rangea son livre dans l'étagère et s'avança silencieusement vers l'entrée. Elle regarda par le judas et à la vue de son visiteur elle déverrouilla la porte.

« Il n'est un peu tôt pour lâcher le loup dans la ville ? »

Un petit sourire se dessina derrière la visière de son casque et elle laissa entrer son invité. Depuis toutes ces années, elle commençait à bien le connaître. C'est la raison pour laquelle elle se permettait de le taquiner et d'afficher par moment une certaine familiarité.

Charles entra alors, affichant un visage inexpressif laissant à son hôte le soin de fermer la porte derrière lui. Il enleva son manteau une fois arrivé dans la pièce principale, laissant alors visible tout ses implants recouvert de sang frais.

« La séance de psy c'est terminée plus tard que prévus... »

S'exprima t-il calmement. Il se retourna alors vers elle et lui esquissa un sourire crispé, limite caricatural. Sourire était toujours délicat pour Charles mais il essayait, par moment, de montrer la sympathie qu'il pouvait avoir pour sa "protégée".

Son visage redevint neutre. Il se dirigea vers la salle de bain afin de nettoyer jusqu'à la moindre gouttelette de sang, les traces de son escapade nocturne. Il pouvait passer des heures sous une eau si brûlante qu'il serai impossible pour quiconque de tenir ne serai ce que quelques instants.

C'est sous la douche qu'il s'écria:

« Et de ton côté, quels sont les nouvelles? »

Calliope referma la porte et retourna dans le salon tout en écoutant Charles lui expliquer son retard de chez la psychologue. Elle le scruta de haut en bas, notifiant sans aucun mal le sang dont il était couvert. Était-ce le sien ? Ou celui de quelqu'un d'autre ? Elle chassa ses élucubrations mentales pour le regarder s'éloigner vers la salle de bain. Après tout, il venait la voir pour faire réviser ses implants, alors elle commençait à avoir l'habitude de ce rouge vermillon baignant ses habits et les pièces métalliques qui remplaçaient son corps.

« Et de ton côté, quelles sont les nouvelles ? »

Elle haussa les épaules même s'il ne pouvait pas la voir. Que pouvait-elle bien lui répondre, elle dont la vie était devenue si banale ?

« J'attends le résultat de mes recherches au laboratoire. »

Répondit-elle alors simplement, plus pour la politesse de la conversation que par un véritable intérêt de lui expliquer son travail de laborantine. Elle s'avachit alors un peu plus dans son canapé, soupirant. Déjà une buée tiède arrivait de la salle de bain, la poussant à aller ouvrir la fenêtre pour aérer la pièce.

« Comment peux-tu supporter cette chaleur... »

Demanda-t-elle de façon plus rhétorique qu'autre chose. Elle se demandait si un jour ses implants n'allaient pas finir par fondre, laissant tomber le peu de corps qu'il lui restait dans une flaque macabre sous sa douche.