Amour et paix sur vous ♪

Elle tira la chaise avec une gaucherie certaine, en veillant à faire le moins de bruit possible. Elle grimpa dessus. En face, de l’autre côté de la table, se tenait un grand humain avec l’air quelque peu coincé des fonctionnaires et qui l'observait avec curiosité. Ce dernier appuya sur un bouton. Un clic se fit entendre. L’entretien commença.

« Entretien huit, jour deux. Recruteur Rodd et candidate… (il relit ses notes) Kotoha. Présentez-vous s’il vous plait.
- Bonjour ! Je m’appelle Kotoha, modèle A.C.D, matricule A-0004 et…
- A.C.D ?
- Androïde de Compagnie pour Démétien, monsieur !
- Jamais entendu parler. (Il tape brièvement sur son clavier) Bon. Parlez-moi de vos caractéristiques physiques pour commencer… »

Physique

« Je mesure un mètre tout pile. J’ai de grands yeux noirs comme les oiseaux qui y voient rien, mais contrairement à eux, je ne possède ni plumage ni pelage : au lieu de cela, un revêtement blanc élastique. Très élastique. C’est juste esthétique parce que je suis constituée de na…
- Restez basique. Passez les détails techniques. Vus avez dit être... aveugle ?
- Oui ! Parce que la beauté ne se contemple pas avec les yeux mais avec le coeur, disait Papa.
- ...passons. Décrivez-vous un peu plus.
- Alors... je suis du genre humanoïde mais avec de larges pétales toutes légères qui partent de mes épaules pour remonter jusqu’au-dessus de ma tête et de même vers le bas. Ça me fait comme une robe. Du coup je ne porte pas d’habits. Mais ce n’est pas comme si j’étais nue attention.
- Hum, hum. Il y a en effet un air de Démetien. Et par rapport à vos capacités physiques ?
- Mes capacités physiques ? Je… peux porter jusqu’à cinq kilos, peut-être plus, pas longtemps. Mais je suis très légère et puis, rapide. Je cours vite ! Et… »

L’homme eut un geste pour l’interrompre. Il se sentait mal à l’aise face à… tant d’humanité. De fausse humanité. Rien dans son discours ne trahissait sa nature d’androïde ; pour peu qu’il ne l’ait devant lui, il aurait juré qu’il s’agissait d’une gamine comme tant d’autres. Et elle se contentait de lui faire son plus beau sourire.

« Cela suffira, passons à votre personnalité » fit-il, coupant court à ses réflexions.

Caractère

Kotoha commença à agiter les jambes, trop courtes pour toucher le sol. Elle s’ennuyait un peu, et pourtant, la patience était une de ses vertus cardinales. Mais cet entretien… Elle avait froid. Il faisait sombre.

« Kotoha ? Donnez-moi cinq qualités et cinq défauts qui vous caractérisent.
- Bien sûr monsieur ! Alors je suis créative et imaginative, vive d’esprit, plutôt douée d’empathie et… je suis mignonne ! Par contre, on me reproche d’avoir la conversation trop facile ou d’être trop faible parfois. Et je suis petite. Mais bon, ça fait partie de mon charme.
- D’accord… je vois. Dites-moi plutôt, vous avez déjà travaillé avec d’autres personnes ? En équipe ?
- Oui bien sûr ! J’adore diriger et donner des directives… Surtout, je suis très portée sur le relationnel !
- Heu… Développez ?
- Ce sera un peu long pour que vous compreniez, dois-je expliciter quand même ? »

Un soupir.

« Allons-y… »

Elle prit un air des plus concentrés et posa ses deux petites mains sur la table. Peut-être s’agissait-il de se donner plus d’assurance ou bien pour être prête à les agiter dans tous les sens, le recruteur n’en savait strictement rien. Et ça l’inquiétait un peu plus. Allez savoir pourquoi.

Histoire

« Il était une fois une petite Androïde, née dans la zone 3 du secteur D de la grande, la gigantesque, la magnifique cité spatiale Ryoko. On la baptisa Kotoha, en référence à… (elle penche la tête) rien. Juste comme ça. Pour la différencier de ses trois autres consœurs. Il y avait Hana, Sayuri et Ruka.
Quand Kotoha était née, elles avaient toutes déjà quitté la maison.
Mais Kotoha n’était pas triste, loin de là ! Papa était toujours présent pour discuter avec elle, l’écouter ou lui apprendre à être une bonne fille. »

L’homme avala de travers. Kotoha, elle, rit. Pianotait sur la table.

« Elle était très douée pour comprendre et assimiler ! Danse, chant, musique et même quelques blagues. Et puis elle avait appris à cuisiner aussi sinon elle ne serait pas une bonne fille… »

Il déglutit. Il osa lui demander :

« Et… qu’arrivait-il si ce n’était pas le cas ? »

Kotoha arrêta de gigoter pour planter son regard vide dans celui de l’humain. Elle sourit en hochant du chef, comme si la réponse était évidente.

« Elle aurait quitté la maison ! Et cela, elle ne l’aurait jamais voulu alors elle travaillait dur. Une fois que Papa s’estima satisfait de ses compétences, il lui apprit alors à aimer. Après tout, elle avait été créée pour être une bonne fille. Et une bonne fille est capable d’aimer pour rendre les gens heureux. »

Silence.
Comme l’androïde ne semblait pas vouloir ou savoir comment poursuivre, il jugea important de lui rappeler le but de cet entretien.

« Oui, pardon monsieur. Alors… »

Elle pencha les épaules à la façon des humanoïdes, comme pour prendre une grande inspiration. Un de ses doigts fins alla gratter son "nez" quasi inexistant.

« Alors elle a essayé de rendre Papa heureux. Elle lui a présenté de jolies femmes, elle lui a organisé des rendez-vous, elle a arrangé des rencontres "par hasard"… Et c’est comme ça que Kotoha s’est retrouvée toute seule dans le grand hangar sans personne à qui parler et à rendre heureux donc elle est partie aussi, chercher des gens à qui apporter un peu de bonheur dans ce monde de grosses brutes. »

Nouveau silence.
Il toussa.
Silence.
Haussement de sourcil.

« Et… c’est tout ?
- Bah oui, vous imaginez que je suis là parce que je suis défaillante ? Que je suis un de ces androïdes qui se rebellent et vont jusqu’à tuer leur créateur ? Nope. Nope monsieur. Je suis Kotoha, une gentille et adorable petite androïde de compagnie. »

Il était perdu, pour ne dire complètement largué. Pourquoi une androïde fonctionnelle s’en viendrait au service de réhabilitation si elle n’avait pas… quelques problèmes ? Cette conversation lui avait prouvé qu’elle suivait les désirs de son créateur, à savoir être d’agréable compagnie. Mais dans ce cas… Quel lien avec les Démétiens ? Et il y avait cette impression malsaine… Quand elle avait parlé de son « Papa »…
Quoiqu’il en soit il enverrait cet entretien à une cinquantaine d’entreprises, son sort ne le concernait pas plus que cela. En théorie.

« Bon, Kotoha, je vous contacte demain pour savoir où vous serez affectée.
- Merci monsieur ! »

Et le matin suivant, elle reçut une lettre sur son terminal. Quelques mots.

« Service Militaire du relais Ishtar, section des Relations Humaines. »

Elle n'était pas sûre de tout à fait bien comprendre.

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